vendredi, 27 mars 2020 11:40

Quand la fêlure fleurit l'ventre

Texte paru da la revue Utopie, numéro 1, p.23-25, France.

moi ej parle le pissenlit, le corbeau et une miette de goémon
GEORGETTE LEBLANC 

Un matin de ruisseaux en amour, L’Azalée se coupa la tresse pour payer son droit de passage au vent de l’Est. Par la fêlure du crépuscule, a’ quitta le village qui avait poussé à l’ombre du clocher, pour retrouver la forêt du Grand Fauve, sur l’autre rive de La Rivière qui marche. Celle-là même que les aieux avaient quitté un matin de givre, attirés par l’odeur de pain du village, sans même dire adieu à Bête qui faisait fleurir leur blé.

Dans le nombril de la forêt, L’Azalée construisit un shack aux palettes décollées qui ressemblait une miette à P’tite qu’a’ l’avait donnée aux corbeaux un printemps trop hâtif. L’Azalée resta sous l’grand pin croche avec les amanites, à r’garder les pissenlits fleurir pis mousser. A’ vit les œufs bleus des rouges-gorges se faire manger par les geais pis les pommiers sauvages mettre à bas leurs pommes surettes. Quand les chênes eurent fanés leur feuilles et que la forêt entama l’chant blanc des morts, l’Azalée rentra dans son shack avec les écureuils et les mulots. À rêva au sifflement de l’aquilon dans les pruches et aux débâcle emportées par le courant du sommeil.

Quand la dernière giboulée sonna le printemps, les glaces du lac aux Corbeaux rompirent une faim de chaton affamés dans l’ventre de l’Azalée, qui s’réveilla d’une trette de son sommeil d’ourse. Avec les branches du saule rieur, a’ balaya les crottes de souris, les nids orphelins. Au retour des merles décoiffés, a’ se découpa une fenêtre à l’est pis chevaucha l’odeur de thym musqué qui lui chatouillait l’appétit.

Arrivée devant la brèche poilue qui fendait l’ventre de la montagne, l’Azalée chanta une complainte longue comme l’hiver des pays d’en haut. A’ lyra de toute sa moelle jusqu’à ce que l’Grand Fauve s’extirpa de son rêve d’aigle. 

Y restèrent de même à se r’garder, L’Azalée assise dans une tache de soleil au milieu d’une tale d’asperges pis L’Grand Fauve camouflée dans l’ombre de sa tanière. Y respirait à peine. Ça faisait longtemps qu’un bête à deux pattes l’avait pas visité. Ça fait que l’Azalée s’approcha ben doucement. A’ le pris dans ses bras troués d’mère pis a’ colla son corps couleuvre sur sa peau rugueuse. L’Grand Fauve, la sève au corps, la couvrit de papillons jaunes, de crocus mauves. Leurs corps firent bourgeons. L’Azalée devint immense et meuble comme la plaine derrière le village. Ses cheveux firent branches pour les bruants, les parulines. L’Grand Fauve gonfla le fleuve, débourra les berges. Y chantèrent si bien ensemble que leurs corps éclatèrent en semences sonores que le noroît souffla sur le toit échancré de l’église.

Ce matin-là, les villageois découvrirent leurs chaumes dénudés du châle crasseux de l’hiver. Y sentirent le pollen leur agacer les narines pis l’odeur de l’ail des bois leur rappeler la soupe que faisaient leurs grands-mères dans l’temps où y avait assez de patates pour nourrir tout l’village. Y se rappelèrent que les vieux sortaient à c’temps-ci de l’année, faire des offrandes au Grand Fauve qui fleurissaient leur blé. Y laissèrent leur fourche, leur four, leur foi pis embarquèrent sur leur grumier avec une urne pleine du lait de la plus belle brebis du village retrouver la forêt des aïeux. Y découvrirent une Azalée les seins ronds, les pieds boueux, les cheveux fleuris. Du miel collé aux lèvres. 

L’Azalée revint au village donner naissance à l’avoine, à laie pis aux coquelicots. A’ passa l’été à bêcher, à pétrir, à coudre des tuniques d’écume aux enfants du village. À leur raconta les bourgeons, l’Grand Fauve, l’odeur des fougères qui se déroulent de leur désir. A’ chanta, a’ dansa pis a compta les étoiles qui se reflétaient dans le fleuve quand l’vent ravalait ses tempêtes.

Au matin que les chênes eurent fané leurs feuilles pis qu’la forêt entama l’chant blanc des morts, l’Azalé se coupa la tresse qu’a’ donna aux corbeaux. A’ suivit le sillon de thym sauvage que son amant cornus soufflait sur le village. Arrivée devant la brèche poilue qui fendait l’ventre de la montagne, à rentra dans tanière du Grand Fauve rêver le silence blanc des branches dénudées pis le repos des champs.

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